Prélude
Claire raconte
Au début des années 80, lorsque Guy m’a demandé si je voulais construire un voilier dans le but de partir, j’ai répondu oui tout de suite, sans vraiment réfléchir. Peut-être que je n’y croyais pas vraiment à ce moment-là, mais j’ai vite compris que cette idée de partir un jour pour faire un tour du monde à la voile était bien ancrée en lui, indélogeable.
Après mes études en éducation physique et nos premières années de vie commune, je ne doutais plus que cette idée... que dis-je, ce rêve démesuré serait coûte que coûte mené à terme. J’avais de la difficulté à me faire à cette idée, car mes aspirations étaient toutes autres! Je voulais travailler dans mon domaine, m’impliquer socialement et avoir des enfants. Guy m’emmenait voir les bateaux dans les marinas, il me présentait des personnes qui avaient fait l’expérience de ce genre de voyage, il m’apportait des récits de voyage ainsi que des revues de voile… Bref, il tentait par tous les moyens de semer cette idée en moi.
Guy rêve...
J’ai mis les pieds sur un voilier pour la première fois de ma vie un peu avant de connaître Claire. J’avais 19 ans, c’était lors d’un voyage en Bretagne et l’expérience m’a plu. Déjà le voyage prenait une place importante dans ma vie, j’aimais ça!
C’est à la lecture des récits de grands navigateurs tels que Marcel Bardiaux, Bernard Moitessier, Adlard Coles, Yves Gélinas et plusieurs autres, que le rêve a pris de l’ampleur. Le petit embryon nourri de littératures nautiques est vite devenu une passion. Une passion pour le voyage, pour la mer, les bateaux et pour une vie différente. Un rêve tellement présent en moi que la seule façon de me le sortir de la tête était de le réaliser.
La rencontre de Claire fut un point tournant. À deux, nous étions encore plus forts, la mise en commun de nos rêves n’allait pas diluer ceux-ci mais bien les rendre plus présents en chacun de nous.
À la fin des années 80, nous passions commande d’une coque de voilier à un chantier de la région montréalaise. Nous n’étions pas très riches financièrement, mais nous avions une foi inébranlable en notre projet et un amour fou l’un pour l’autre.
Claire se laisse convaincre
Chez moi, l’idée a pris racine petit à petit. Il est certain que la venue des enfants m’a apporté des questionnements et des doutes. Mais une fois ma décision prise, j’y ai vu une façon extraordinaire de prendre ma vie en main et un défi à la mesure de mes espérances, car vivre en communion avec la nature correspondait à mes idéaux. J’y voyais aussi d’immenses possibilités en terme d’éducation pour mes enfants.
Un bâteau qui grandit
Le rêve prenait forme, celle d’un joli voilier de 10,50 m. C’est en 1994, après sept ans de travail acharné, de sacrifices, de persévérance et de volonté que notre voilier Balthazar fut mis à l’eau à la marina Gosselin à Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix.
Fini de passer pour un hurluberlu excentrique constructeur d’un voilier en acier : « Ça va-tu flotter? Tout ce travail pour un bateau, pourquoi pas une belle maison! »
Une étape importante
La mise à l’eau fut pour moi une étape importante, un pas de plus vers la réalisation de ce rêve. Il fallait s’accrocher à ce bout d’espoir et y croire plus que jamais.
Des ronds dans l’eau
Les cinq étés suivants, nous avons navigué sur le lac Champlain afin de bien connaître Balthazar et de se familiariser avec la voile. La théorie devenait pratique. Les filles étaient très jeunes et nous appréciions ces virées de fin de semaine au grand air. La première année, Joëlle était encore un petit bébé et quelquefois nous avions à choisir entre hisser le spi ou changer sa couche! Le spi pouvait attendre! Petit à petit, on apprenait la voile, mais aussi la vie à quatre dans un espace restreint.
Les préparatifs du départ
L’année 1999 fut bien occupée. Nous avons mis la maison en vente. Il fallait aussi prévoir les démarches pour sortir les enfants de l’école et pour acheter le matériel nécessaire à leur instruction. Ensuite est arrivé le temps de faire les changements d’adresse, d’annuler des cartes et abonnements inutiles, de faire une méga « vente de garage » et de préparer des boîtes en vue de l’entreposage de certains meubles et effets personnels. Bref, nous nous délaissions tranquillement de tout un tas d’acquis superflus… Chose curieuse, j’ai ressenti un certain soulagement à me défaire de tous ces objets. Les objets inutiles encombrent notre espace et notre esprit et nous empêchent d’être libres! Moins j’en avais, plus je me sentais bien!
Enfin!
Au printemps de la même année, pendant que la nouvelle propriétaire prenait les rênes de mon commerce en main (une petite imprimerie à ville d’Anjou), je terminais les derniers travaux avant le grand départ fixé au mois de septembre.
Le 12 septembre 1999 nous quittions le quai de la marina Gosselin, cap au sud. Nous laissions dans notre sillage de terrien des années de travail mais aussi tout le poids d’un tel projet.
La construction de Balthazar n’était pas une fin en soi, mais le chemin menant au voyage et à la découverte. Balthazar devenait notre maison sur l’eau, notre compagnon de route.
Nous partions en mer pour la liberté, le plaisir, l’émotion et la richesse d’une vie en famille et non pour prouver quoi que ce soit. Nous ne courrions après aucun record, nous ne partions pas pour vaincre quiconque, ni même nos propres fantasmes, mais pour vivre simplement, poussés par le vent.
L’ÉCOLE À BORD
Avant départ, été 1999
Quand j'ai commencé à regarder ce qui se faisait en matière d'éducation par correspondance au Québec au niveau du primaire, je n'ai pas trouvé tout de suite l'aide et l'information que j'aurais voulu. En fait, il n'y a rien en terme de correspondance au Québec, sauf le programme de « l'école à la maison ».
En faisant appel à ce programme, j'ai eu plus d'informations mais j'ai compris que ce n'était pas encore la méthode qu'il nous fallait, car il nous obligeait à être sur place pour passer des examens.
L’éducation de mes enfants m’est apparue comme une grande tâche. Je me suis rapidement rendue compte que nous devions nous débrouiller seuls, sans soutien réel de la part du ministère de l’Éducation et de la commission scolaire.
Le mieux, dans notre situation de futurs navigateurs, était de nous procurer tous les volumes pour les matières de base, soit les mathématiques que Guy enseignera et le français dont je m’occuperai, et d'enseigner à nos enfants au meilleur de nos connaissances.
Pour ce qui est des examens, on oublie ça et on reporte le tout à l'arrivée au pays où les enfants passeront une « mise à niveau ». Ainsi, elles pourront s'insérer de nouveau dans le système d'éducation conventionnel. On verra.
Chloé, 9 ans, entreprend sa quatrième année et Joëlle, 7 ans, sa deuxième. Leur année scolaire débutera en même temps que le voyage, soit à la mi-septembre 1999.
Claire
En février 1987, débuta, au défunt chantier Métanav, la construction de ce qui allait devenir notre voilier : Balthazar. Jusqu'au mois d'avril de la même année, les travaux progresseront vite et bien. Ensuite des problèmes de chantier, qui malheureusement se reproduiront quelquefois par la suite, retarderont les travaux. Nous passerons quatre années à ce chantier avant que Balthazar en sorte.
Les trois années suivantes, nous les passerons en Montérégie chez un ami artisan à faire les aménagements intérieurs. Malgré quelques longueurs dans le temps d'exécution des travaux, le tout fut bien fait, avec talent et bon goût.
Dériveur de grande croisière
(Extrait d'un article écrit pour le bulletin de l'association CONAM en janvier 1988)
L'article qui suit est le fruit de connaissances personnelles, glanées au fil de lectures. C'est mon point de vue, celui d'un amateur passionné de voile, de bateaux et de croisières. C'est en étudiant plusieurs articles sur les dériveurs que je me suis fait une bonne idée du « bateau idéal » en ce qui me concerne et en ce qui a trait à ma vision de la navigation hauturière.
La conception : Un dériveur est un voilier avec un plan de dérive rétractable, donc adaptable aux circonstances de la navigation et de l'échouage. Dans un quillard, la quille joue les fonctions de plan antidérive et de lest. Par contre, sur un dériveur, ces deux fonctions sont indépendantes l'une de l'autre.
Les catégories : Il y en a plusieurs : le dériveur à embryon de quille avec dérive sabre ou pivotante; le dériveur à fond plat, dit intégral (comme Balthazar), à dérive sabre ou pivotante, à dérive légère ou contenant une partie du lest; et le bateau à quille relevable qui est un dériveur dont la dérive porte tout le lest. J'ai choisi pour Balthazar l'option dériveur intégral à dérive pivotante et puits de dérive large et facilement carénable.
Les avantages : L'énorme et principal avantage du dériveur, c'est qu'il permet d'aller (presque) partout, en tout cas là où la majorité des bateaux ne vont pas. L’échouage (même rare) est simple et très intéressant. Pour traverser les océans, un dériveur n'apporte pas plus de choses qu'un quillard : il perd au près ce qu'il gagne au portant. Il semblerait que les mouvements d'un bateau au lest intérieur sont plus doux et plus confortables. Mais il y a un point où tous les propriétaires de dériveur sont d'accord : par mauvais temps, un bon dériveur intégral vaut tous les quillards.
Les inconvénients : Un puits de dérive, même bien dissimulé dans les aménagements, prend de la place. Dans certains voiliers, le puits occupe un espace de fou; il faut faire le bon choix. Dans Balthazar, le puits est totalement caché sous une banquette du carré. Un lest intérieur supprime la possibilité de mettre des réservoirs ou du rangement dans les fonds, aspect souvent compensé par le fait que le dériveur est souvent plus large, à taille égale, qu'un quillard.
Un dériveur intégral dont on veut exploiter les possibilités (échouage) est plus exposé qu'un quillard, toujours sagement mouillé en eau profonde. Il faut donc être prudent et réserver les échouages pour les eaux calmes et abritées, être sûr de la météo et de la tenue des ancres. Savoir à quoi ressemble les fonds est aussi une bonne chose.
Un dériveur est-il aussi sécuritaire qu'un quillard dans le gros temps? Voyons ce qu'en pense Gilbert Caroff, architecte naval, qui a une grande expérience des dériveurs.
« Les dériveurs en acier obtiennent de très bonnes courbes de stabilité, car contrairement à ce qu'on pourrait en penser, le poids de lest n'a pas l'importance prépondérante qu'on lui prête. Les formes de la coque et du pont ont plus d’importance. Par contre, on constate que les bateaux à quille relevable chavirent, quille relevée entre 90 et 95 degrés, angle qu'on peut atteindre en étant simplement couché par une forte claque de vent. Alarmant! C'est la seule catégorie de "dériveurs" auxquels pareille mésaventure puisse arriver. Mieux vaut dissocier totalement le poids de lest de la fonction antidérive pour améliorer la stabilité par très fort vent ou très forte mer à la cape à sec de toile. Un dériveur intégral est, dans cette condition, d'une très grande fiabilité et non seulement on peut relever la dérive, mais encore on le doit! Dérive relevée, le bateau glisse sans gîter et est d'une très grande stabilité de route grâce à un aileron arrière, voire une dérive d'appoint. »
Question de choix : On peut faire de belles croisières avec n'importe quelle sorte de bateaux. Les quillards sont des bateaux plus simples, plus économiques à l'achat et souvent plus spacieux. Il ne faut pas « capoter » sur l'aspect dériveur : si l'on ne s'échoue que quelquefois par an, le jeu n'en vaut peut-être pas la chandelle. Par contre, si l'on désire vraiment un bateau passe-partout, le dériveur offre beaucoup de satisfaction.
Longueur : 10,50 mètres
Poids : Coque de 3 000 kg
Lest : 2 000 kg
Flottaison : 8,80 mètres
Déplacement en charge : 7 100 kg
Longueur du mat : 13,5 mètres
Bau maximum : 3,70 mètres
Bau flottaison : 3,00 mètres
Élancement avant : 1,00 mètre
Surface du génois enrouleur : 45 m2
Franc bord avant : 1,00 mètre
Surface Grand voile : 23 m2
Tirant d'eau : 0,70 mètre
Surface foc de route : 32 m2
Hauteur sous barrots : 2,00 m
Moteurs : Vétus 35 HP
Architecte : Gilbert Caroff
Septembre 2003
lettre d’un internaute
Objet : Dériveur intégral
Salut Guy et Claire,
J'ai lu votre dernière missive sur le Réseau du capitaine avec un grand intérêt. J'hésite encore entre l'achat d'un dériveur intégral ou un quillard. Quelles ont été vos impressions jusqu'à présent du dériveur intégral? Vous vous êtes quand même rendus jusqu'en Australie! Remonte-t-il bien au vent? Comment se comporte-t-il dans le gros temps? Merci de bien me donner ce feedback. Je projette de faire mon tour du monde au début de 2005. Je me cherche donc un bateau en acier. Merci encore.
M. Boulay
Le vendredi 12 septembre 03, 200 milles à l’est des îles Cocos-Keeling, océan Indien
Bonjour Michel
Un quillard ou un dériveur? Je pense que les deux types de voiliers sont bons pour le voyage. À part ces appendices des oeuvres vives, beaucoup d’autres choses peuvent faire d’un voilier un bon bateau de voyage. Mais parlons ici du dériveur. Si j’avais à faire l’acquisition d’un nouveau voilier, ce serait un dériveur. Bon, il n’a pas seulement que des qualités. Il n’est pas un fin voilier au plus-près, car il perd en dérive plus qu’il ne gagne en vitesse, mais dès le près bon plein et le petit largue, il donne d’excellents résultats.
Tu me demandes comment il se comporte par gros temps. Où s’arrête le petit temps et où commence le GROS? Chaque marin ne parle pas du même coup de vent avec les mêmes mots, etc. Nous n’avons pas connu de gros mauvais temps depuis notre départ du Québec il y a quatre ans. Quelques petits coups de vent, comme depuis trois jours, avec des vents à 30-35 noeuds et une mer de 4 à 5 mètres. Par expérience, dans ces conditions Balthazar se comporte à merveille. Du vent de travers au vent arrière, la dérive remontée assure une glisse sur le flan des plus grosses vagues. Au contraire, le quillard a tendance à s’arrêter net en travers des dites vagues, freiné par l’effet de croche-pied de la quille.
Un dériveur permet quelques erreurs de jugement. Que ce soit la rencontre d’une « patate de corail », comme disent nos amis Français, ou d’un haut fond, évidement mal positionné sur la carte, ça risque de passer sans trop de casse. Les risques d’abordage en mer sont diversifiés, la rencontre d’une baleine en est un, et un dériveur risque fort de passer par-dessus (fait vécu par un copain), encore une fois sans trop de dommage, et là je ne parle pas de la baleine!
Enfin tout est question de compromis!
Guy